Administration fiscale, ordinateur et serveurs informatiques des entreprises

I. Droit national et pouvoirs de l’administration fiscale

Les articles L47 et suivants du Livre des procédures fiscales précisent les conditions d’un examen de la situation fiscale personnelle d’une personne physique au regard de l’impôt sur le revenu ou d’une vérification de sa comptabilité. Le contribuable doit nécessairement en avoir été informé par un avis de vérification.
Lorsque la comptabilité est tenue par un système informatisé, le contribuable peut remettre une copie des écritures comptables que l’administration restitue nécessairement avant la mise en recouvrement.

En revanche, si l’administration fiscale envisage un traitement informatique de cette comptabilité, le contribuable dispose d’un choix : il peut demander à ce que les agents effectuent la vérification soit directement sur le matériel qu’il utilise, soit par le biais d’une copie des documents qu’il leur fournit.

Article L16 B du Livre des procédures fiscales.
I. – Lorsque l’autorité judiciaire, saisie par l’administration fiscale, estime qu’il existe des présomptions qu’un contribuable se soustrait à l’établissement ou au paiement des impôts sur le revenu ou sur les bénéfices ou des taxes sur le chiffre d’affaires en se livrant à des achats ou à des ventes sans facture, (…) elle peut, dans les conditions prévues au II, autoriser les agents de l’administration des impôts (…) à rechercher la preuve de ces agissements, en effectuant des visites en tous lieux, même privés, où les pièces et documents s’y rapportant sont susceptibles d’être détenus ou d’être accessibles ou disponibles et procéder à leur saisie, quel qu’en soit le support.
II. – Chaque visite doit être autorisée par une ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter.

L’administration fiscale a de nombreux pouvoirs lorsqu’elle estime qu’une société fraude en ne déclarant pas tous ses revenus pour les impôts sur le revenu ou sur les sociétés.
Elle peut par exemple effectuer des visites dans des lieux – mêmes privés – si des documents comprenant des informations susceptibles de l’intéresser y sont potentiellement détenus, disponibles ou accessibles. Cette visite peut s’accompagner d’une saisie des documents, et ce « quel qu’en soit le support ». Cette visite doit néanmoins être autorisée par une ordonnance du Juge des libertés et de la détention (JLD).


Cour d’appel de Paris Pôle 5, chambre 7 Ordonnance du 31 août 2012, Google Ireland, Google France / Administration fiscale
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La Cour d’appel de Paris, dans une ordonnance du 31 août 2012, a rappelé cette faculté de l’administration de saisir le juge pour pouvoir saisir des documents nécessaires dans les locaux des entreprises.

En l’espèce, l’administration fiscale considérait que la société Google Ireland exerçait en France une activité commerciale dès lors qu’elle conclut elle-même des ventes d’espaces publicitaires en ligne auprès des clients français, et qu’elle est liée à la société Google France par un contrat de prestations de services (« marketing and services agreement ») sans souscrire les déclarations fiscales qui y sont liées.
L’administration fiscale a saisi le JLD pour effectuer diverses mesures de visite et de saisie dans les locaux qui seraient susceptibles d’être occupés par Google, ce qui lui a été accordé par deux ordonnances du 29 et 30 juin 2011.

Les sociétés Google considèrent qu’il y a violation de l’article L16B du livre des procédures fiscales car les documents saisis ont été prélevés dans des lieux extérieurs aux locaux : ils ont été appréhendés grâce à l’accès au réseau interne de l’entreprise qui était constitué par une connexion entre les machines se trouvant sur place et celles pouvant se trouver à l’étranger.

La Cour d’appel considère néanmoins que les documents ont été saisis à partir d’ordinateurs se trouvant dans les locaux visités, ce qui comprenait dès lors la saisie de documents informatiques pouvant être consultés dans les lieux. Peu importe que les documents soient situés sur un serveur localisé à l’étranger : tant qu’ils sont consultables sur l’ordinateur dans les locaux visés par l’ordonnance du JLD, leur saisie est possible.

Ainsi, il semble que les sociétés ne peuvent se cacher derrière la localisation à l’étranger de certaines données : si les documents sont disponibles via l’ordinateur situé dans le lieu où a lieu la visite – grâce à un compte et mot de passe d’un salarié, qui a l’obligation de le fournir sur place à l’administration fiscale -, cette dernière peut les saisir.


II. CEDH et pouvoirs de l’administration fiscale
Article 8 – Droit au respect de la vie privée et familiale
1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
II. I1 ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a également eu à statuer des pouvoirs de l’administration fiscale concernant les ordinateurs et serveurs informatiques dans un arrêt en date du 14 mars 2013, rendu définitif le 8 juillet 2013.

CEDH, Bernh Larsen Holding AS and others, vs. Norway, 14/03/2013.
En l’espèce, l’administration fiscale avait enjoint la société Bernh Larsen Holding AS (BLH) d’autoriser leurs inspecteurs à effectuer une copie de toutes les données stockées dans son serveur informatique. La société BLH les autorisa à accéder au serveur, mais refusa de leur remettre une copie. Elle estimait que le serveur appartenait à une autre société (Kver) et que d’autres sociétés les utilisaient pour y stocker des données.
Les trois sociétés concernées par le contrôle fiscal contestèrent cette décision de consulter le serveur informatique, en invoquant une violation de leur vie privée sur le fondement de l’article 8 de la CEDH.

Tant un Tribunal de première instance, une Cour régionale que la Cour suprême de la Norvège ont confirmé la possibilité de l’administration fiscale de copier des données en vue de les contrôler dans ses locaux.
Ces juridictions nationales ont considéré que le partage d’un serveur par plusieurs sociétés ne justifie pas un refus d’accès à l’administration fiscale, et qu’elle pouvait accéder à tous les dossiers, y compris ceux stockés sur support électronique même s’il ne s’agissait pas de documents comptables s’ils contenaient des informations pertinentes concernant le calcul de l’impôt.

La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) était donc tenue d’observer si l’ingérence à la vie privée des sociétés était justifiée ou non.
La Cour rappelle que les dispositions fiscales habilitent les agents fiscaux à accéder aux archives des sociétés. Étant donné que les archives n’étaient pas divisées en plusieurs volumes bien délimités, ils pouvaient parfaitement accéder à l’intégralité du serveur et à copier les documents potentiellement intéressants pour l’administration fiscale.

Les sociétés alléguaient que la copie de sauvegarde emportée par les agents fiscaux contenait nombre de données sans aucun rapport avec les impôts, ce qui ne relevait dès lors pas du champ d’application des dispositions législatives norvégiennes.
Or, le champ d’action de l’administration fiscale doit être étendu au stade préparatoire. De surcroît, étant donné que les dossiers des sociétés n’étaient pas clairement séparés, ils auraient pu prévoir que l’administration fiscale souhaiterait accéder à l’intégralité des données stockées sur le serveur pour apprécier la pertinence ou non des données.

La Cour rappelle en effet que les sociétés s’étaient vues notifier l’intention de l’administration fiscale un an avant. Ils ne peuvent dès lors pas valablement se plaindre d’un préjudice qu’ils auraient pu éviter en séparant les dossiers pouvant intéresser l’administration fiscale.

En outre, les copies qui sont faites par l’administration seront nécessairement supprimées « after the review had been completed, the copy would either be deleted or destroyed and all traces of the contents would be deleted from the tax authorities’ computers and storage devices ». L’intrusion dans la vie privée de la société est alors moindre.

La Cour conclut ainsi en précisant que les mesures ont été adoptées par l’administration fiscale dans l’intérêt du bien-être économique du pays et qu’elles poursuivent un objectif légitime.
La législation poursuit un juste équilibre entre la recherche de la vie privée des sociétés et des clients, et l’efficacité de la recherche des informations fiscales pouvant intéresser l’administration fiscale.

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Un commentaire pour Administration fiscale, ordinateur et serveurs informatiques des entreprises

  1. A présent je suis mieux renseigné sur ce sujet ^^

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